Je suis Thierry Mimar de la société Acsystème. Je suis ingénieur en contrôle-commande et responsable de projets également depuis une quinzaine d’années maintenant. Je travaille pour des grands comptes, des industriels dans le secteur de l’automobile et de l’énergie essentiellement. Je travaille sur des sujets divers pour ces grands comptes, souvent avec pour finalité de développer une stratégie de commande pour un actionneur, un moteur, une turbine, un vérin… Les problématiques sont relativement variées autour de ce contrôle-commande.
– Comment peut on améliorer les performances d’un système ?
D’une manière générale, pour améliorer les performances d’un process, on intervient au niveau de la stratégie de commande, la loi de pilotage, souvent embarquée dans un calculateur, un ordinateur qui génère des commandes pour le process. On peut faire des tests sur le système mais il faut alors des tests très nombreux. Ça peut être coûteux quand les tests sont longs, pour les arrêts de production parce qu’il faut arrêter le système.
Parfois ce n’est juste pas possible parce que pour des questions de sécurité le système ne peut pas être testé, on ne peut pas tester certaines situations. Donc notre approche classique, c’est de développer un modèle, aussi appelé « jumeau numérique ». Une fois qu’on aura passé du temps à valider ce modèle, à le développer, à bien le caler, on a quelque chose qui nous permet de simuler le comportement dynamique du système. À partir de là, dans notre approche, on peut mettre au point des stratégies de commande. On va pouvoir, beaucoup plus simplement que si on l’avait fait directement sur le système, comparer différentes stratégies de commande, différents réglages, valider ces réglages sur différents scénarios, sur différentes situations de vie du système.
– Quels sont les différents types de modélisation pour la création d’un jumeau numérique ?
Il existe différentes typologies de modèles, différentes approches de modélisation, de création d’un jumeau numérique en fonction des données dont on dispose pour le créer. Il y a des cas où le process n’est pas trop complexe et où on est capable de modéliser par des équations physiques le comportement du processus. Dans ce cas-là, on développe ce qu’on appelle un modèle « boîte blanche » qui va décrire le processus par ses équations. Ce sont des équations dynamiques, c’est-à-dire qui décrivent les relations temporelles entre les entrées et sorties du modèle. Avec ce genre de modèle, une fois qu’on a fait une mise en équations, il va rester à caler un certain nombre de paramètres à partir de données qui auront été récupérées sur le process réel.
Par exemple, si on cherche à modéliser un barrage, et que ce que l’on cherche à modéliser c’est l’évolution du niveau du barrage en fonction de son débit entrant et de son débit sortant, dans un cas réel, on va mesurer les débits entrants et sortants et voir l’évolution du niveau. On cherchera à caler notre modèle, à ajuster les différents paramètres des équations de manière à reproduire en simulation le comportement enregistré sur le système réel.
La seconde approche concerne les cas où il est plus difficile de mettre en équations le modèle, on ne dispose que de données, et on n’a pas une connaissance a priori des équations du modèle. Dans ces cas là, on s’oriente vers une approche de modélisation dite « boîte noire », qui va uniquement exploiter des données et essayer d’identifier, de caler un système, avec des paramètres moins physiques, représentant quand même ce système. De la même manière que pour le modèle boîte blanche, on va chercher à valider ce modèle sur d’autres jeux de données, valider que les prédictions de notre modèle en simulation reproduisent bien la réalité avec une tolérance donnée.
– Quels sont les principaux intérêts du jumeau numérique pour un producteur d’énergie par exemple ?
Un producteur d’énergie veut utiliser au mieux son moyen de production. Pour ça, il a besoin d’optimiser les performances de sa stratégie de commande pour tirer le meilleur parti de l’énergie disponible quand il s’agit d’une énergie renouvelable par exemple. Dans ce contexte, la modélisation et la simulation numérique sont un vrai levier. On va pouvoir tester différents cas de vie, et toutes les configurations possibles.
En plus d’aider à l’optimisation du fonctionnement du moyen de production existant, la simulation numérique peux aussi permettre d’aider au dimensionnement et d’étudier par exemple des scénarios de rénovation du moyen de production existant. Il va être possible en simulation d’étudier par exemple quel aurait été le gain réalisé si on l’avait rénové en utilisant les historiques de données des « N » dernières années de fonctionnement.
– Qu’apporte en plus l’analyse de données ?
En complément de cette démarche de simulation, l’analyse des données, appelée aussi maintenant « data science », va nous permettre d’aller encore plus loin dans l’optimisation des performances.
Dans le cas d’un aménagement par exemple hydro-électrique, on va pouvoir analyser les données météo, les données de marées, de température… qui vont nous permettre d’alimenter notre stratégie de commande en entrée pour optimiser encore ses performances, la spécialiser peut-être en fonction des cas de figure, de la météo par exemple. Pour rester dans le domaine de la production d’énergie, la data science va aussi permettre d’analyser par exemple les données des consommateurs en utilisant un historique et permettre par exemple d’aider les gestionnaires du réseau à adapter leur production ou leur demande de production à la demande du réseau.
– Quelle est la démarche d’Acsystème pour réaliser une stratégie de commande ?
La première étape pour nous va être de bien spécifier les attentes du client en termes de performance et connaître les données d’entrée disponibles pour la mise au point de la stratégie de commande.
À partir de ces éléments, nous commençons par établir un modèle numérique, soit boîte noire, soit boîte blanche, soit parfois, entre les deux, à partir des données fournies par le client, des données qui peuvent concerner les caractéristiques du procédé à piloter, et de données d’essais réalisés sur procédé. Ce jumeau numérique du procédé va nous permettre, une fois bien calé et validé de disposer d’un moyen de reproduire en simulation le comportement du procédé.
À partir de là, nous allons pouvoir développer une stratégie de commande qui tente de répondre aux objectifs fixés dans le cahier des charges. En fin de projet, l’industriel dispose de 2 choses : d’une part, les résultats de l’étude expliquant le travail réalisé, les hypothèses de modélisation, et la stratégie de commande proposée ainsi que son réglage et d’éventuelles préconisations sur l’amélioration lorsqu’il s’agit d’une stratégie existante, et il dispose également de l’environnement de simulation que nous avons développé pour lui que nous avons utilisé pour le réglage mais qu’il peut ensuite utiliser pour l’aider à prendre des décisions par la suite sans nécessiter d’arrêter son process de production. Il arrive fréquemment en fin de projet que nous soyons amenés à transférer les connaissances et à former les personnes chez le client qui vont, soit prendre la suite de ce qu’on a fait, soit l’utiliser.
– Quel est l’intérêt de cette démarche pour un industriel ?
Le gros intérêt de cette démarche de travail, aussi parfois appelée « model-based design », outre l’optimisation ponctuelle des performances d’un procédé, est la possibilité de réutiliser l’environnement de simulation et d’améliorer les performances de sa loi de commande pas uniquement de manière ponctuelle mais de manière itérative. Il est également possible de transposer par la suite, de réexploiter tout l’environnement mis en place sur un autre procédé. Il peut s’agir d’une ligne production similaire mais aussi d’un produit.
Dans le cas par exemple d’un industriel qui développerait un produit motorisé, il a souvent toute une gamme. Donc il va pouvoir décliner cet environnement aux différents équipements de sa gamme, réexploiter cet environnement de simulation pour d’autres produits.